Le genre en recherche

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Le 15 décembre, l’ANR et le CIRAD organisaient un colloque virtuel sur la thématique « le genre en recherche ». Le programme, très complet, comportait une partie « méta » sur l’évaluation de la recherche en fonction du genre de ses acteurs (le matin) et une autre partie « terrain » sur la prise en compte du genre dans des études et travaux de recherche (l’après-midi). Mon emploi du temps m’a permis d’assister aux présentations de la matinée, ainsi qu’à des bribes de l’après-midi. Ainsi, je ne manquerai pas de profiter des replays qui seront proposés sur la chaîne Youtube de l’ANR.

En attendant, voici quelques points forts que j’ai retenus de cette journée :

  • il y a une prise de conscience des organismes de la discrimination liée au genre envers les acteurs de la recherche (ANR, CIRAD, CNRS, équivalents en Suisse…)
  • il y a une mobilisation sur le plan RH avec une volonté de faire un état des lieux et de proposer des solutions. Cela se traduit notamment par le recueil de statistiques: on commence à compter sérieusement et systématiquement. La présentation de l’ANR offre notamment un retour sur la fameuse case « prise en compte du genre » remplie lors des soumissions de projets.
  • une présentation détaillée de l’étude de 2019 sur le biais dans les commissions CNRS [1] qui donne lieu à des préconisations pratiques. L’opportunité de réaliser une étude similaire avec les commissions ANR a été évoquée.
  • une moyen de corriger les biais de genre qui semble avoir fait ses preuves [1] consiste à proposer aux comités d’évaluation une formation sur les biais implicites et la problématique du genre. Il est néanmoins très important de comprendre qu’un impact positif n’est observé que si cette formation est suivie par l’ensemble des personnels et non sur la seule base du volontariat. En effet, la correction des biais n’est possible que s’il y a une véritable prise de conscience effective de leur existence.
  • les discussions lors des tables rondes ont été très riches et ont montré la problématique dans toute sa complexité, de la part d’intervenants investis. Une intervenante expose le fait que le constat des inégalités de genre donne lieu à des réactions « réflexe » de deux types: 1/ le « oui mais pas moi » (reconnaître qu’il y a un problème, mais qu’à titre individuel on n’y contribue pas) et 2/ le « oui, mais il y a pire » (reconnaître qu’il y a un problème, mais se complaire dans l’existence de statistiques ou constats plus mauvais dans d’autres disciplines, instituts, pays…). Il faut aller au delà de ça et agir sur les inégalités qui sont effectivement observées.
  • il y a beaucoup d’interrogations (pertinentes) sur « comment faire »?
  • le constat sur le déséquilibre entre compétence et confiance en soi pour les femmes suggère que les femmes bénéficieraient de participer à des réseaux permettant de leur donner confiance, de diminuer l’autocensure qu’elles s’infligent et d’être plus présentes dans des activités à responsabilité. Néanmoins, il est également salutaire de reconnaître qu’il ne faut pas exclusivement rejeter la responsabilité de la solution sur les femmes, car la présence des inégalités est systémique. Les études montrent qu’il y a une inégalité genrée de perception des personnes qui fait par exemple que des actions perçues positivement lorsqu’elles sont accomplies par des hommes sont perçues négativement lorsqu’elles sont le fait de femmes.
  • les intervenants membres de commissions d’évaluation soulignent également que la méthode des « quotas » pour imposer la diversité au sein des commissions pose un problème complexe. Un intérêt majeur de la mixité est de présenter aux candidat.e.s évalué.e.s par les commissions des « modèles » diversifiés qui leur permettent de se projeter dans ces rôles et de montrer que la communauté scientifique a vocation à être diverse. Cependant, il ne faut pas oublier que l’ensemble de la population est sujette aux mêmes biais genrés: la diversité de composition ne rend pas nécessairement une commission moins biaisée. Enfin, la sous représentation des femmes dans les postes permanents et à responsabilité fait qu’elles sont sur-sollicitées pour participer à des commissions. Le taux de réponse positive pour participer à une commission est de 1/2 pour les hommes contre 1/5 pour les femmes. D’une part il parait injuste d’imposer aux femmes de consacrer une partie plus importante de leur temps à des commissions au détriment d’autres activités comme la recherche, mais d’autre part, ne pas y participer renforce leur absence de rôles visibles et valorisés.

Sans remettre en cause l’intérêt de cette journée, très riche, on peut relever un petit bémol au niveau de l’organisation des interactions entre le public et les intervenants. Un chat permettait de faire des commentaires transmis aux seuls organisateurs (ni les intervenants ni les participants ne voyaient les commentaires). La gestion du temps a fait que ces commentaires/questions n’ont pu avoir qu’une place limitée. Il aurait été intéressant de pouvoir disposer d’un chat public dans lequel davantage d’interactions auraient été possibles. Par ailleurs, j’ai également été surprise de constater que toutes les études présentées le matin se placent (sans le dire) dans une représentation binaire du genre – ce qui correspond au cadre de la norme européenne, mais constitue un biais dont nous avons déjà parlé. Les études présentées l’après-midi, qui s’appuient sur des méthodologies de sociologie pour le recueil des données, semblent fournir des outils pour éviter cet écueil. Pour ce qui est du traitement automatique de la langue, des recommandations ont également été faites dans le cadre de l’atelier « Ethics in NLP » [2].

Références

[1] Régner I, Thinus-Blanc C, Netter A, Schmader T, Huguet P. Committees with implicit biases promote fewer women when they do not believe gender bias exists. Nat Hum Behav 3, 1171–1179 (2019).

[2] Larson B. Gender as a Variable in Natural-Language Processing: Ethical Considerations . 2017. Proc. « Ethics in NLP » EACL workshop.

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