Grand Débat : que peut l’analyse automatique des contributions ?

A l’heure où le président de la République s’apprête à annoncer ce qu’il a retenu du Grand Débat qu’il a lancé il y a quelques mois, il n’est peut-être pas inutile de s’interroger sur comment a pu être analysée la très grande masse de contributions qui ont été émises à cette occasion.

Le gouvernement a en effet annoncé que cette procédure inédite de consultation avait réuni 500 000 contributeurs sur la plate-forme en ligne, 500 000 contributions par le biais des cahiers de doléances ouverts dans chaque mairie, et 500 000 participations dans le cadre de réunions locales qui ont fait l’objet de notes synthétiques de restitution… Pour analyser toutes ces contributions, les organisateurs du Grand débat ont mis en avant l’apport de l’Intelligence Artificielle et du Traitement Automatique des Langues : toutes les contributions seront analysées automatiquement, par des comptabilisations d’occurrences de mots. Cette analyse automatique sera réalisée par OpinionWay et son sous-traitant Qwam.

Dès lors, on peut s’interroger sur les limites de cette analyse automatique. Tout d’abord, notons que l’outil informatique peut permettre, même avec des décomptes assez basiques, d’extraire de l’information de cette masse de données. C’est ainsi par exemple que les Décodeurs du Monde ont pu montrer dans une petite étude que, par delà le succès annoncé de la consultation, nombre de contributions ne sont soit que des messages extrêmement brefs, ou bien sont le résultat de multiples copier-coller de la part de participants qui ont sans doute bien détecté l’effet déformant d’une analyse purement statistique des contributions.

Mais même si l’on réalise un pré-traitement pour éliminer les doublons ou les contributions limitées à 3-4 mots d’invective, comment le TAL peut-il faire émerger du sens à partir de contributions textuelles non structurées ? Cette question, c’est la problématique scientifique de la fouille d’opinion (opinion mining en anglais) sur laquelle se repose le gouvernement. Dans la perspective d’une IA permettant une aide à la décision efficace, de plus en plus d’entreprises (parmi lesquelles OpinionWay) se sont positionnées sur ce marché. Pourtant, à ma connaissance, les résultats ne sont pas là : songez par exemple que les techniques mise en œuvre peinent le plus souvent à gérer la présence d’une négation dans un texte. Dans cet article, Hugues de Mazancourt, très bon connaisseur du domaine et contributeur à ce blog, nous explique avec des exemples concrets les limites de la fouille d’opinion telle qu’elle sera mise en oeuvre par OpinionWay. Rien de nouveau sous le soleil, sous le terme marronnier des « Intelligences Artificielles », on ne cause que d’assez banales statistiques lexicales. Une fois encore, nous sommes en présence d’annonces miraculeuses sur les capacités de l’IA et du TAL, et une fois encore (l’histoire des sciences ne nous apprend dont-elle rien ?), on ne rend pas ainsi service à ces domaines de recherche pourtant si intéressants…

Dès lors, pour une analyse plus profonde des débats qui ont agité une partie de la population française ces dernières semaines, on peut se demander si l’Intelligence Humaine n’est pas plus appropriée. C’est en tous cas le pari d’initiatives comme l’Observatoire des débats ou bien La Grande Annotation qui font résonance aux sciences et à la démocratie participatives. Ces initiatives ont certainement leur limites en termes de méthodologie et de représentativité des analyses. Mais celles-ci peuvent être débattues, alors que les réserves sur l’intervention de la fouille automatique d’opinion dans le Grand Débat n’a, à ma connaissance, suscité d’interrogations raisonnées que dans des cercles assez restreints.

Un des grands intérêts du Grand Débat est qu’il va fournir (qu’il fournit déjà, de fait) une masse de données brutes accessible librement et qui nous livre une photographie assez exceptionnelle de l’état d’esprit des français (du moins ceux qui se sont exprimés, nous ne discuterons pas ici de la représentativité des contributions), mais également de leur comportement langagier. Cette ressource intéressera les politologues, les sociologues, les analystes du discours et autres. Mais également le TALN : et si ce Grand Débat, qui nous est parfois présenté comme une démonstration éclatante de la réussite de l’IA, n’était pas pour les années à venir au contraire une base de test inestimable pour étudier, cette fois proprement, et espérons-le sans biais méthodologique, les limites de notre discipline…

Équité dans les algorithmes d’apprentissage automatique

Un petit article dans Internet Actu (blog du Monde), sur les questions d’équité des algorithmes (fairness en anglais)

http://internetactu.blog.lemonde.fr/2018/09/08/concretement-comment-rendre-les-algorithmes-responsables/

La question de l’équité est au centre des préoccupations éthiques en apprentissage automatique, comme le montre l’émergence depuis 2014 de la conférence FATML (Fairness, Accountability, and Transparency in Machine Learning : https://www.fatml.org/).

Le TAL semble moins se pencher sur ces questions que par exemple, la communauté de l’analyse décisionnelle. Pourtant, ce sont les mêmes techniques d’apprentissage qui sont souvent utilisées, et des exemples de biais involontaires, ou au contraire recherchés par des groupes d’opinions qui ont utilisé la dépendance aux données de ces modèles, ont ainsi déjà pu être observés en TAL.

Ecriture inclusive et point médian : et si l’on causait science ?

InclusiveL’année qui vient de s’écouler a été le témoin de débats animés autour de l’écriture inclusive, cet ensemble de recommandations qui vise à écarter de la langue (le français en l’occurrence) toute forme linguistique pouvant véhiculer des stéréotypes de genre. Cette question n’est pas nouvelle. On se rappelle ainsi les cris d’orfraie de l’Académie Française et les clivages qui sont apparus dans la société française lorsqu’Yvettte Roudy, ministre des Droits de la Femme de François Mitterrand, avait promu en 1984 la féminisation des noms de métiers. Plus de trente ans plus tard, cette incitation linguistique à la parité en milieu professionnel est pourtant largement acceptée: même si linguistes et sociolinguistiques montrent que cette parité terminologique est encore loin d’être atteinte dans la pratique, les voix s’opposant à cette féminisation sont désormais rares et le sujet ne fait plus débat sur la place publique.

Cette fois, c’est une autre question qui agite les esprits : celle du point médian, ce petit signe typographique censé être utilisé pour remplacer les emplois du masculin générique (« je remercie les millions d’électeurs qui m’ont accordé leur confiance ») par une forme composée de l’emploi masculin suivi du suffixe de sa forme féminine (« les millions d’électeur·rice·s »). Deux évènements ont assuré la promotion de cette controverse au sein du grand public : la sortie d’un ouvrage scolaire rédigé en écriture inclusive chez les éditions Hatier et, à l’opposé, la circulaire du gouvernement appelant l’administration à ne pas utiliser cette écriture neutre [1]. Très rapidement, les querelles sur genre et langue ont repris avec une vigueur renouvelée et une fois encore, les passions semblent l'emporter sur la raison critique. Ainsi en est-il d’une France qui a toujours eu du mal à penser son rapport à sa langue, comme le montre par exemple Daniel Luzzati dans son ouvrage sur l’orthographe du français [Luzzati 2010]. Ajoutez le sujet explosif de l’évolution du français à celui de la parité, vous avez là tous les ingrédients pour un débat à la française, où les symboles l’emportent sur les faits.

Sur ce blog consacré aux enjeux éthiques de la recherche en TAL, il me semble nécessaire de se focaliser uniquement sur des faits scientifiques qui peuvent éclairer le débat. La linguistique le peut-elle sur une question qui la concerne au premier chef ? Assurément, si les scientifiques parviennent à écarter tout a priori idéologique de leur analyse. Or, cela semble être rarement le cas, sans doute parce qu’il nous est difficile d’écarter toute passion sur un objet culturel qui nous définit intimement.

Langue et société : qui est l’œuf et qui est la poule ?

Wikipedia_logo_eggPrenons la question de savoir si la langue n’est que le reflet de la réalité sociale et qu’il est donc illusoire de vouloir la réformer par décret [Hagège 2017], ou si elle créée et véhicule des symboles qu’il convient de réformer pour lutter contre les stéréotypes genrés [Butler 1997]. La linguistique diachronique (i.e. qui s’intéressse à l’évolution de la langue) a été mise à contribution dans ce débat. Les réformistes favorables à l’écriture inclusive affirment ainsi que la règle d’accord selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin au pluriel (« Pierre et Marie sont amis ») n’est pas naturelle : il s’agirait d’une construction imposée aux XVIII° par volonté de domination masculine, alors que le latin comme le français jusqu’aux classiques tels Racine privilégiaient l’accord par proximité (« Pierre et Marie sont amies », accord au féminin car Marie est plus proche de l’adjectif). De nombreux faits tangibles sont évoqués pour appuyer cette analyse. On cite ainsi le grammairien Dominique Bouhours, qui écrit en 1675 que « lorsque les genres se rencontrent il faut que le plus noble l’emporte », le « genre masculin étant réputé plus noble que le féminin » selon son influent collègue Nicolas Beauze.

La démonstration n’est plus à faire de l’influence qu’ont eue les grammairiens [2] sur l’évolution du français. Toutefois, nous avons une connaissance trop imparfaite de l’usage réel de l’accord de proximité en français classique pour que la linguistique tranche ce débat. Dans un article récent (Télérama 3545-3546, pp. 67-69), Alain Rey affirme que l’accord de proximité fut peu utilisé en pratique, mais il ne détaille pas la nature des données sur lesquelles il forge cette observation : se base-t-il par exemple sur des actes de la vie administrative ou juridique quotidienne ? Pour défendre à l’opposé la réalité de l’accord par proximité, Eliane Viennot s’appuie quant à elle avant tout sur des œuvres littéraires telles que celles de Ronsard (Viennot 2017).

Le point médian : une introduction anodine ou un vrai facteur de risque ?

Votes_For_WomenAinsi, les réflexions linguistiques qui sont échangées sur l’écriture inclusive relèvent le plus souvent de l’argument d’autorité. Lorsque le point médian arrive dans le débat, nous ne sommes plus très loin du café du commerce (c’est à ce niveau que je range les arguments de type « esthétiques » sur cette forme écrite) ou de postures purement idéologiques. Tâchons donc d’étudier le point médian d’un point de vue purement objectif, en répondant à la question suivante : le point médian constitue-t-il un facteur de risque pour les individus ou la société ?

Suivant une approche éthique conséquentialiste, le point médian est un facteur de risque s’il est la cause d’un effet non attendu par rapport aux objectifs de son introduction [Lefeuvre-Haltermeyer et al. 2016]. Le point médian a pour objectif de participer à la réduction des stéréotypes genrés. Quelle pourrait être son influence à d’autres points de vue ? La réponse qui a été le plus souvent évoquée est celle des difficultés de lecture et d’apprentissage qu’entraîne son usage. Que peut nous dire la science, loin de tout parti pris partisan, sur ce sujet ?

Notons tout d’abord que cette question de facilité de lecture n’est pas anodine. L’ergonomie cognitive a en effet montré de longue date que des modifications de présentation mineures d’un texte écrit pouvaient avoir un effet sensible sur la qualité de lecture. Des expériences ont ainsi montré que la longueur idéale d’une ligne d’affichage dans une langue utilisant l’alphabet latin était de 60 caractères, et que, par exemple, réduire cette longueur de 33% ralentissait de 25% la vitesse de lecture [Duchnicky & Kolers 1983]. Burns et ses collègues (1986) montrent de même que les options de formatage des textes affichés sur un écran ont un impact sensible sur les performances (vitesse, erreurs) de lecture. Il en est de même de l’utilisation d’une police d’affichage avec ou sans empattement, ou du choix de la couleur d’impression [Götz 1998].

Ces exemples de facteurs influençant les performances de lectures ne concernent que des choix d’affichage assez anodins, à la différence de l’intégration d’un signe typographique tel que le point médian au sein même des mots. Il est donc raisonnable de poser que le point médian constitue un facteur de risque sur les activités de lecture. Reste à étudier sa criticité, c’est-à-dire l’importance réelle de l’impact de son usage, pour pouvoir trancher la question de son introduction dans la langue par une analyse de type coût / bénéfice.

Risque lié à l’usage du point médian : la psycholinguistique silencieuse…

A ma connaissance, seule une expérience suisse a tenté de mesurer l’impact de l’usage du point médian (ou du tiret) : elle concernait le cas très précis des noms de métiers rédigés en écriture inclusive (par exemple : instituteur·rice) au sein de textes complets [Gygax & Gesto 2007]. Cette étude montre un effet d’habituation très rapide, puisque le ralentissement de la lecture ne concerne que la première rencontre avec le nom de métier concerné. Il serait toutefois dangereux d’en généraliser trop rapidement ses conclusions :

– l’étude ne portait que sur les noms de métier, et non pas sur l’ensemble des dénominations concernant des personnes,

– les noms de personnes sont majoritairement formés avec un nombre restreint de suffixes (-é, –eur, –iste…) et ne mobilisent donc qu’un ensemble assez réduit de formes de rédaction en écriture inclusive.

– les sujets ayant participé à l’expérience étaient des adultes en possession de toutes leurs compétences langagières : les questions de l’apprentissage de la lecture, du handicap, dépassent la portée de cette étude.

Risque lié à l’usage du point médian : intuitions neurocognitives

HearReadBrainPuisqu’aucune étude expérimentale n’a à ce jour quantifié globalement l’impact du point médian sur les activités de lecture, je propose de nous tourner vers les acquis des neurosciences cognitives. Les études sur les pathologies liées à la galaxie des troubles DYS (dyslexie, dysorthographie, etc.) nous éclairent sur les chemins cognitifs de la lecture [Crunelle 2008]. Deux voies cognitives de lectures parallèles (redondantes ou alternatives) sont mobilisées lors de l’activité de lecture :

– d’une part, une voie dite d’assemblage (ou phonologique), qui repose sur une segmentation graphémique suivie d’une conversion graphème-phonème : on passe de la lecture des caractères et de leur association à la reconnaissance des sons de base de la langue : les phonèmes puis les syllabes,

– d’autre part, une voie dite d’adressage (ou lexicale) qui consiste en un accès direct global aux mots écrits par accès à un lexique conservé en mémoire à long terme.

La voie lexicale est privilégiée pour la lecture des mots courants (mémorisés et facilement activables) ou à la prononciation irrégulière (comme pour people en anglais), puisque dans ce cas la conversion graphème-phonème est inopérante. La voie phonologique est-elle privilégiée lors de la découverte de nouveaux mots, puisqu’on tente alors de s’appuyer sur les règles de conversion graphème-phonème régulières de la langue. C’est donc la voie privilégiée de l’apprentissage de tous les mots à prononciation ordinaire.

Considérons la forme neutre du pronom pluriel ceux/celles telle que recommandée dans une écriture inclusive : ceux·lles. On voit immédiatement que le point médian casse complétement les possibilités de conversion graphème-phonème, puisque le suffixe ·lles qui est incomplet, n’est pas prononçable. Il en va de même d’une écriture moins compacte et pourtant guère plus prononçable ceux·elles. Bien entendu, par une gymnastique cérébrale peu naturelle, on doit pouvoir arriver à recomposer la bonne lecture du mot. A priori, la charge cognitive supplémentaire engendrée par cette opération ralentira la lecture. Ce calcul cognitif additionnel reste toutefois totalement inaccessible aux personnes atteintes d’une dyslexie phonologique. On peut imaginer également l’impact négatif de l’usage du point médian sur des jeunes en plein apprentissage de la lecture, puisque l’apprentissage privilégie cette voie cognitive en se basant sur des règles aussi régulières que possibles.

La seule alternative cognitive pour lire aisément la forme ceux·lles est d’en passer par la voie lexicale. Pour cela, il faut toutefois que la forme ceux·lles ait été intégrée dans le lexique phonologique. Donc que la personne ait déjà appris sa prononciation après forces lectures répétitives. Mis à part les mots grammaticaux très fréquents, cette solution n’est accessible qu’aux lecteurs et lectrices assidues. Du point de vue de l’apprentissage de la lecture, on risque donc de renforcer, par l’usage du point médian, les différenciations sociales entre personnes qui bénéficient d’un environnement favorisant la lecture et les autres. Les personnes qui souffrent de dyslexie de surface (atteinte de la voie d’adressage) ne peuvent par ailleurs se reposer sur cette solution.

Ces observations neuropsychologiques ne sont que des indications du risque lié à l’utilisation du point médian. Il conviendrait de mener des études expérimentales pour estimer précisément la criticité de cet impact négatif. Ces études semblent toutefois supporter l’idée qu’en cherchant à réduire les discriminations liées au genre dans la langue, on peut renforcer les discriminations d’accès à la lecture liées à des critères sociaux ou au handicap.

L’expérience de [Gygax & Gesto 2007] nous montre que, dans certains conditions favorables, l’écriture inclusive avec point médian ne gêne pas la lecture. Son usage dans certains écrits politiques, scientifiques ou professionnels, et sur certaines formes très régulières (é·e·s) pourrait être tolérée afin de rappeler à coût réduit l’importance de la question des stéréotypes genrés. Mais sa généralisation par décret me semble avoir un impact négatif trop important sur certaines populations fragiles pour être envisagée sans la mise en place d’études expérimentales préalables.

Ecriture inclusive : et si l’on quittait un débat franco-français ?

255px-Flag_of_Quebec.svgAlors, quelles solutions face aux discriminations de genre, mais aussi de classe sociale ou de handicap ? De mon point de vue, le problème est mal posé et le point médian n’est simplement pas le bon outil pour atteindre les objectifs énoncés par les réformistes favorables à l’écriture inclusive. Plutôt que de débattre stérilement comme jusqu’à présent, la France serait bien avisée de regarder du côté d’autres démarches amorcées depuis des décennies dans certains pays. L’article de Télérama déjà évoqué cite ainsi, en reprenant les propos du linguiste Wim Remysen (Université de Sherbrooke) l’exemple du Québec, qui a adopté sans remous des recommandations d’écriture à la fois moins genrées et fluides à la lecture. Plusieurs principes guident ces recommandations :

  • Favoriser l’utilisation de termes épicènes, c’est-à-dire qui peut être employé au masculin comme au féminin sans changer de forme, comme élève ou réformiste,
  • Ne pas utiliser le masculin générique,
  • Eviter la surabondance des formes masculines et féminines juxtaposées (les citoyens et les citoyennes),
  • Enfin, employer des termes neutres qui peuvent regrouper les deux genres (la communauté scientifique plutôt que les chercheurs et les chercheuses)

Ces recommandations vous paraissent trop lourdes et plus difficiles d’emploi que le point médian ? Relisez ce billet : il a été écrit en tentant de les respecter. Y avez-vous rencontré une difficulté de lecture, des lourdeurs terminologiques ou des stéréotypes genrés ? Non ? Dès lors, pourquoi recourir au point médian ? N’est-il pas le reflet d’une certaine paresse linguistique, là où outre-Atlantique, on joue avec sagacité avec le français pour le faire évoluer vers le reflet d’une société plus paritaire ?

[1] JO du 22 novembre 2017. Cette circulaire va au rebours des recommandations du Haut Conseil pour l’Egalité entre les Hommes et les Femmes

[2] Connaissez-vous des grammairiennes influentes ? Moi non, activité réservée à la gente masculine ?

References

Burns et al.  (1986) Formatting space-related displays to optimize expert and non-expert performance, SIGCHI’86 Human Factors in Computer Systems, ACM, N-York, 275-280

Butler J. (1997) Excitable speech: a politics of the performative. New York: Routledge.

Crunelle D. (2008) Les dys … dyslexies et autres troubles. Recherches n° 49, Troubles du langage et apprentissages, 2008-2

Duchnicky, J. L., & Kolers, P. A. (1983). Readability of text scrolled on visual display terminals as a function of window size. Human Factors, 25, 683-692

Götz V. (1998) Color and type for the screen. Grey Press & Rotovision, Berlin, RFA

Gygax P., Gesto N. (2007) Féminisation et lourdeur de texte. L’année psychologique, 107, pp. 239-255.

Hagège C. (2017) Ce n’est pas la langue qui est sexiste, mais les comportements sociaux. Le Monde, 26 décembre 2017.

Lefeuvre-Halftermeyer A., Govaere V., Antoine J.-Y., Allegre W. , Pouplin S., Departe J.-P., Slimani S., Spagnulo S. (2016) Typologie des risques pour une analyse éthique de l’impact des technologies du TAL. Traitement Automatique des Langues, TAL, vol. 57 n° 2. pp. 47-71

Mayhew D.J. (1992) Principles and guidelines in software user interface design. Prentice-Hall

Luzzati D. (2010) Le français et son orthographe. Didier, Paris. ISBN 978-2-278-05846-4.

Marshall, J. C.; Newcombe, F. (1973) Patterns of paralexia: a psycholinguistic approach. Journal of Psycholinguistic Research. 2 (3): 175–99.

Viennot E. (2017) Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue franaise (2nde édition augmentée). Editions. iXe

 

Quelle éthique pour le crowdsourcing ?

Début septembre, j’ai été amené à donner une conférence invitée dans le cadre de l’action COST enetCollect, à Bolzano. Cette action se focalise sur l’appel au crowdsourcing (ou myriadisation) pour constituer des ressources linguistiques utiles au développement de solutions d’apprentissage des langues. Solutions qui seront également développées dans le cadre du projet. Un des working group, piloté par Karën Fort (U. Paris 4) et Katerina Zdravkova (Ss. Cyril & Methodius U. , Skopje), concerne la définition de spécifications éthiques et légales pour la conduite du processus de crowdsourcing.

C’est dans ce cadre que j’ai été invité à présenter les approches éthiques qui pourraient s’appliquer au crowdsourcing. J’ai choisi de mettre en avant les travaux de la littérature relevant d’une éthique :

(1) déontologique pour l’analyse du processus de crowdsourcing par lui-même,

(2) conséquentialiste pour l’analyse de l’impact des solutions d’apprentissage qui seront développées au cours de l’action.

Cette présentation relevant pour la partie déontologique d’une nouvelle réflexion de ma part, elle ne s’appuyait sur aucune publication personnelle. Dès lors, pourquoi ne pas la partager avec les lecteurs de ce blog ? Je ne sais si mes slides seront compréhensibles sans explications, mais je crois que la bibliographie que j’ai étudiée peut vous intéresser…

Présentation BOLZANO

 

TAL et domaine juridique : l’arrivée du Big Data

Jusqu’à une date assez récente, les applications du TAL ou du TAP (Traitement Automatique de la Parole) dans le domaine juridique ont surtout concerné les questions d’identification des personnes par leur voix ou leurs écrits. Avec l’arrivée de masses de données juridiques numériques, le Big Data investit désormais des questions comme la rédaction automatique d’acte notariés, la justice prédictive etc…

Le journal du CNRS vient précisément de publier un petit article qui fait le tour de la question : « La justice à l’heure des algorithmes et du big data« . Analyse assez équilibrée des bénéfices et risques de ces technologies langagières. Et une vision très claire des limites technologiques de ces dernières en termes de performances.

 

Note de lecture : « le temps des algorithmes »

La revue sur la culture scientifique en ligne Interstices a publié une note de lecture sur Le Temps des algorithmes (editions du Pommier), ouvrage que viennent de publier Abiteboul et Dowek sur les questions et débats éthiques que soulève le développement de notre société numérique :

https://interstices.info/jcms/p_92826/regard-sur-le-temps-des-algorithmes

Note de lecture intéressante qui vous incitera peut-être à aborder l’ouvrage lui-même…

Après le ministère de l’économie, la CNIL débat sur les algorithmes

La question des algorithmes est désormais bien présente au sein du débat politique français : après le rapport sur le sujet du ministère de l’Economie, c’est la CNIL qui lance un débat ce jour. Pour faire la part entre le fantasme et les questionnements éthiques légitimes. Des tables rondes sont à écouter dès ce lundi 23 janvier :

https://www.cnil.fr/fr/ethique-et-numerique-les-algorithmes-en-debat-0

Évaluation en Traitement Automatique des Langues : rigueur scientifique, course d’un jour ou aveuglement collectif ?

pasteur
Albert EDELFELT, Louis Pasteur, en 1885.

En matière de recherche, s’il est un sujet où scientifiques et doxa populaire se rejoignent, c’est bien celui d’une élaboration continue de la connaissance par validation (ou réfutation) expérimentale des hypothèses. De nombreuses études en sociologie des sciences ont montré que cette vision objectiviste contenait une part de mythe (Latour &Woolgar 1979), fondé avant tout par les sciences dures expérimentales (Bensaude-Vincent 2013). Il n’en reste pas moins que la puissance opérative de cette vision de l’activité scientifique reste prédominante dans la pratique du chercheur, en sciences expérimentales du moins.

Situé à l’interface entre les sciences humaines et les sciences expérimentales, le TALN (Traitement Automatique des Langues Naturelles) est un domaine de recherche idéal pour observer l’influence de ce paradigme objectiviste. Pendant de nombreuses années (où, avouons-le, les applications opérationnelles étaient encore rares), l’évaluation de la production scientifique faisait la part belle au côté stimulant et originel des idées proposées. Le TALN semblait avant tout relever de la République des Idées chère aux sciences humaines. Depuis près de trois décennies, le TALN a désormais pris résolument le parti d’une évaluation supposée objective de ses travaux, en particulier sous la forme de campagnes d’évaluation compétitives (shared tasks).

L’affaire se déroule ainsi : une tâche particulière est définie, un jeu de données commun est constitué pour permettre le développement des systèmes participant à la compétition, et, au bout d’une période fixée, ces derniers sont testés sur une base de test que l’on suppose être représentative de la tâche. On obtient alors un classement des systèmes participants. A titre d’exemple, la figure ci-dessous résume les résultats de la dernière campagne d’évaluation sur l’identification de relations de discours (Shallow Discourse Parsing shared task) de la conférence CoNLL’2015 (Xue et al. 2015) . Nous n’allons pas expliquer ici en détail ces résultats. Disons simplement, que pour trois sous-tâches données (Argument, Connective, Parser), les participants sont classés (O = official) suivant une métrique (F = F-mesure, qui combine deux mesures de Précision P et de Rappel R) calculée une fois pour toute sur le corpus de test. Le classement final résultant d’une combinaison entre les scores obtenus sur les trois sous-tâches.

img_conllCes campagnes compétitives ont toujours un fort impact au sein de la communauté scientifique. Aussi, lorsque notre laboratoire LI a remporté la campagne ETAPE d’évaluation des systèmes de détection automatique des entités nommées sur le français parlé (Nouvel 2013), nous ne nous sommes pas privés de mettre en exergue ce résultat.

Pourtant, pourtant… que représentent vraiment ces classements ? Récemment, j’ai invité une amie qui venait de terminer une thèse en modélisation cognitive computationnelle, et qui à ce titre a l’habitude des travaux en psychologie expérimentale, à assister à un atelier en TALN. Sa réaction face à nos présentations fut immédiate : « vous ne comparez que des résultats bruts, ne calculez-vous jamais la pertinence statistique de vos observations pour fonder votre analyse critique ? ». Gêne de ma part, car que répondre à cet évident manque de rigueur de nos procédures d’évaluation ? Eh oui, l’East China Normal University a peut-être remporté la sous-tâche Argument de la shared task de CoNNL avec une F-mesure de 46,37, mais aucune étude ne nous montre que ce résultat est statistiquement supérieur au 41,31 de l’UIUC ! Pour pouvoir répondre à cette question, il aura fallu diviser la base de test en sous-corpus, regarder la variabilité des résultats obtenus et procéder à des tests de significativité statistique (test paramétrique de Student, test U de Wilconxon-Mann-Withney, par exemple) pour pouvoir vraiment décerner une première place incontestable. Ces tests, que l’on rencontre très rarement dans nos campagnes d’évaluation, sont pourtant enseignés dès la licence à des étudiants en en statistique et analyse de données !

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Affiche jeux Olympiques 1908 Londres

Les classements de nos campagnes d’évaluation ont ainsi autant de valeur qu’une épreuve de saut à la perche aux Jeux Olympiques où le meilleur athlète de la discipline peut se retrouver dans un mauvais jour. Dans le cas présent, l’UIUC a peut-être eu simplement la malchance d’être confrontée à un jeu de données qui lui convenait moins bien…

Les chercheurs en TALN acceptent cet état de fait car ils s’en remettent à un autre mythe de la discipline : celui du corpus représentatif. Ce mythe, si cela en est un, est lourd de conséquences, car les techniques d’apprentissage automatique que nous utilisons majoritairement n’ont qu’un but : non pas de résoudre un problème qui pourrait donner lieu à des applications réelles, mais de s’adapter au mieux à un jeu de données extrait du problème. On imagine aisément les travers d’un tel choix de paradigme si la représentativité de nos corpus n’était pas au rendez-vous.

Or, cette représentativité n’a rien de garantie. J’en veux pour preuve les résultats d’un stage de Master que j’ai encadré récemment. Je vous explique. Lucie Dupin, la stagiaire, avait pour tâche de développer un système de détection automatique des noms d’auteurs dans des blogs, ceci sur des données fournies par l’entreprise (Elokenz – Cicero Labs) qui finançait le stage. Sans être très difficile, cette tâche est plus complexe qu’on peut l’imaginer à prime abord si on veut atteindre une généricité de traitement. Chaque blog a en effet une manière qui lui est propre de présenter l’auteur d’un post, et comme plusieurs noms propres peuvent figurer sur une page de blog, détecter la bonne entité nommée n’est pas trivial. Pour s’assurer de la représentativité des données, Elokenz a opéré une extraction sur une très grande diversité de blogs. Nous avons entraîné un classifieur SVM sur ces données d’apprentissage, en réservant classiquement un dixième du corpus pour le test du système (et en procédant à une technique dite de validation croisée qui nous assure que le système n’apprend pas par coeur mais tente de généraliser à partir de ses données d’entrainement). Les résultats furent très satisfaisants, avec un taux de bonne détection (Accuracy) de 91 % (Dupin et al., 2016). Lucie ayant bien avancé durant son stage, il nous restait une semaine à occuper avant sa soutenance. Elokenz nous a alors fourni un nouveau corpus de test, tout aussi varié que le précédent, mais extrait d’autres blogs. Patatras, l’évaluation (sans nouvel entraînement) du système nous a donné une robustesse déclinant à 66 % ! Certains choix faits au cours du stage ont confirmé leur intérêt sur cette seconde évaluation : le travail de Lucie n’était donc heureusement pas remis en cause. Mais il était clair que nous avions développé un système sur un corpus jugé représentatif de tous, et qui ne l’était pas. Au final, nous n’avions fait qu’adapter notre classifieur aux données, sans avoir l’assurance que sa robustesse sur tout type blog serait suffisante dans un cadre industriel.

Je pose donc la question : quand nous sommes nous interrogés sur la pertinence des corpus sur lesquels nous développons nos systèmes ? Et qui parmi nous ne passe pas des semaines à adapter (tuning) son système pour qu’il colle au mieux aux données d’apprentissage, afin d’obtenir un bon classement, plutôt que de réfléchir au développement d’approches originales ?

Vous savez quoi, je commence à douter de notre première place lors de la campagne Etape. Bon, à dire vrai, j’en doutais depuis longtemps…

Jean-Yves Antoine

Repères bibliographiques

  • Bernadette Bensaude-Vincent (2013) L’opinion publique et la science : à chacun son ignorance, La Découverte, Paris.
  • Lucie Dupin, Nicolas Labroche, Jean-Yves Antoine, Jean-Christophe Lavocat, Agata Savary (2016) Author name extraction in blog web pages: a machine learning approach. Actes JADT’2016. Nice, France
  • Bruno Latour et Steve Woolgar (1979) Laboratory life : the social construction of scientific facts. Sage, London. Trad. Fr. La vie scientifique : la production des faits scientifiques, La Découverte, Paris, 1988.
  • Nianwen Xue, Hwee Tou Ng, Sameer Pradhan, Rashmi Prasad, Christopher Bryant, Attapol T. Rutherfort (2015). The CoNLL-2015 Shared Task on Shallow Discourse Parsing. Proc. CoNLL’2015, Pekin.

 

Apprentissage et Intelligence Artificielle: les vraies questions éthiques

La CERNA (Commission de Réflexion sur l’Ethique de la Recherche en sciences et technologies du numériques) de l’alliance Allistene, organise le 13 juin 2016 (INRIA Paris) une journée sur le thème « apprentissage et intelligence artificielle ». Un sujet qui concerne directement le TAL, du fait de l’omniprésence du machine learning dans les recherches du domaine.

Pour en savoir plus : plaquette de présentation [PDF]

Les inscriptions sont ouvertes…

Ecole jeunes chercheurs sur l’éthique du numérique

La CERNA (Commission de réflexion sur l’Ethique de la Recherche en sciences et technologies du Numérique de l’alliance Allistene) se penche sur la question de la formation à l’éthique des chercheurs dès leur entrée en doctorat.

Elle organise une école jeunes chercheurs sur l’éthique du numérique à Arcachon, entre le 26 et le 30 septembre 2016. Inscriptions avant le 15 avril.

Pour en savoir plus: http://cerna-ethics-allistene.org/